Au delà du web : CUE, Cadillac User Experience [MAJ]

Article mis à jour en bas de page.

J’ai lu il y a quelques semaines la note « L’interface… d’une Cadillac ! » postée sur graphism.fr. Je profite de quelques jours de vacances pour revenir sur l’intéressante vidéo qui illustre le message. Comme le dit Amélie Boucher, il est bon de « s’inspirer de ce qui se fait ailleurs que sur le web. »

Voici la vidéo en question.

Première réaction : wow ! Ça s’anime, ça clignote, ça brille…

Cela dit, beaucoup d’autres choses me viennent à l’esprit lorsque je regarde en détail cette vidéo.

1. La plupart des technologies (toutes ?) présentées ici existent déjà. Le bouton « Start » pour démarrer la voiture ? Rien de neuf. Le tableau de bord sous forme d’écran ? Il me semble avoir déjà vu ça (je ne connais pas tous les tableaux de bord du monde…) Les commandes vocales ? Croisées depuis des années sur un tas de voitures — d’ailleurs je n’ai pas l’impression que le système intéresse vraiment les utilisateurs, apprendre les commandes par cœur ne doit pas amuser grand monde. L’écran tactile, l’affichage tête haute, la connexion aux appareils nomades… Peu de réelles innovations, plutôt un bon mélange.

2. L’écran tactile central permet de regrouper un grand nombre de commandes dans un espace limité. C’est évidemment très pratique : une seule interface remplace des dizaines de boutons. Cela dit, je me pose plusieurs questions à ce sujet.

Cadillac User Experience - écran tactile

• Les boutons de la console centrale d’une voiture classique sont statiques (leur position n’évolue pas dans le temps), ont une forme particulière (potentiomètre, poussoir, etc.) et offrent un retour (visuel, auditif) spécifique. Ces éléments facilitent la mémorisation de leur emplacement et l’association mentale « tel bouton = telle fonction ».

De son côté, l’écran tactile nécessite une attention soutenue de la part de l’utilisateur (souvent le conducteur). Impossible de savoir où se trouve la commande de volume sans vérifier si l’on se trouve bien sur l’écran de contrôle de la radio (et pas sur celui du GPS par exemple). C’est le problème d’un écran multifonctions : il faut d’abord sélectionner le bon environnement (commandes radios, commandes GPS, commande clim…) puis trouver la fonction recherchée.

• Le temps d’apprentissage d’une interface aussi complexe peut perturber beaucoup d’utilisateurs. Peu de personnes apprécient la consultation d’un mode d’emploi, en particulier lorsqu’il s’agit du manuel d’un type d’appareil (les voitures) qu’ils utilisent depuis des dizaines d’années. S’il faut ajouter au mode d’emploi de la voiture (au moins 200 pages) un mode d’emploi de l’écran tactile (c’est déjà le cas), combien y a-t-il de chances pour que les utilisateurs s’y plongent ? La présence d’une application « Help book » (1:33) montre bien que les concepteurs sont conscients de la complexité de cette nouvelle interface.

3. Question récurrente lorsque l’on se trouve devant une interface de ce type : quid des bugs ? Un ordinateur, on a plusieurs possibilités : fermer le programme qui bloque la machine, redémarrer la machine, désinstaller le programme problématique, faire une restauration du système, formater la machine… Pour une voiture, c’est forcément plus complexe. Pas question de redémarrer si les commandes de l’autoradio ne fonctionnent plus au beau milieu de l’autoroute.

Les problèmes électroniques sont (logiquement) de plus en plus nombreux au fil du temps. Ce type d’interface risque de rendre ses utilisateurs toujours plus dépendants du garagiste spécialisé le plus proche.

4. Les constructeurs veulent rendre leurs voitures connectées. Première interrogation : est-ce que cela répond à une demande ? Est-ce que l’utilisateur d’une automobile a besoin d’un véhicule connecté ? Deuxième interrogation : que se passe-t-il lorsque la connexion n’est plus disponible ? Ou lorsque l’on se trouve à l’étranger ? Troisième interrogation : finira-t-on par pouvoir pirater un véhicule à distance ?

Fred Cavazza évoque les nouvelles interfaces riches de nos véhicules dans cet article. On y retrouve les mêmes éléments que dans la vidéo ci-dessus : écrans tactiles, tableaux de bord digitaux… et bien sûr véhicules connectés. Et comme dans la vidéo ci-dessus, on ne montre pas l’intérêt que cette connexion apporte. À quoi cela peut-il bien servir ? (Appel de détresse mis à part, cette commande existe depuis un certain temps déjà.)

Réponse possible : à installer des applications. Après tout, l’écran tactile, la connexion… tout cela rappelle beaucoup les téléphones mobiles. Très bien, mais quelles applications ? Détail très amusant : on retrouve la même application « Pandora » sur 3 photos d’interfaces différentes…

Cadillac User Experience - application Pandora

Pourquoi est-ce que les concepteurs ne nous montrent pas des usages intéressants ? Une application qui me donne les prix du stationnement à l’endroit où je me trouve par exemple. Dans la vidéo, les applications visibles sont : Weather (super), Pandora, App Store (euh…) et Stitcher (le picto rappelle un baby phone…?) N’y avait-il rien de plus intéressant sur l’App Store justement ?

Et qui dit applications dit nouveaux apprentissages, nouvelles interfaces, nouveaux bugs…

Bonus

Une petite vidéo pour finir, au sujet des innombrables nouvelles fonctions que l’on trouve dans les voitures les plus modernes :


Il s’agit de l’essai de la BMW M5 diffusé dans l’émission anglaise Top Gear. Plusieurs passages illustrent tout à fait certaines de mes interrogations.

Bonus 2

Pour les amateurs, le sublime intérieur d’une BMW 328 de 1937 (je ne suis pas certain d’avoir le droit de les publier directement dans l’article…)

Mise à jour

HTeuMeuLeu a publié une note « Le prototype vs. la réalité » qui oppose la théorie (la vidéo ci-dessous) à la pratique. Je rejoins totalement son point de vue : les différences sont minimes mais modifient l’expérience vécue. Devant le prototype j’ai l’impression de me trouver dans un film de science fiction ; devant le tableau de bord réel je suis bien au volant d’une « simple » voiture moderne. Rien de grave bien sûr, c’est juste une petite déception…

Design : une illustration peut-être, une infographie sûrement pas !

D’après la définition de Wikipedia (la définition du Larousse ne s’applique pas), l’infographie de presse « désigne des graphes destinés à mettre en image des informations généralement statistiques au moyen de diagrammes. »

Il s’agit d’un moyen très en vogue sur internet (autant dire que ce n’est pas récent) pour illustrer des informations de toutes sortes : l’usage des téléphones mobiles, les revenus des artistes… voire l’utilisation des infographies elles-mêmes. Je me suis moi-même amusé à retravailler mon CV sous cette forme il y a quelques années.

Lorsqu’elles sont bien conçues, ces infographies permettent de mieux comprendre les données qu’elles mettent en scène. Voici un exemple très simple tiré de la première page du site de Dave Mc Candless, Information is beautiful, dont je parlais dans une note précédente :

infographie de Dave Mc Candless issue du site Information is Beautiful

Chaque carré est composé d’une couleur (le type de catastrophe, avec un repère en prime) et d’une surface (l’étendue de la catastrophe). L’ensemble est parfaitement compréhensible et permet de comparer les données entre elles. J’ajoute que l’auteur explique sa façon de procéder dans l’article associé et qu’il fournit un lien permettant de consulter les données utilisées.

Ça, c’est une infographie de qualité : facile à appréhender, utile et claire.

Il y a deux jours, je suis tombé sur un article intitulé « 2011 en réseaux », publié sur le site d’ecrans.fr et relayé ici ou . Je cite la première phrase : « Libération a publié le 30 décembre cette infographie bilan de 2011 sur les réseaux sociaux ». Voici l’infographie en question :

infographie de Liberation "2011 en réseaux"

Cette image met en avant un grand nombre de données. Ces données sont présentées de façon presque totalement anarchique : par nombre d’utilisateurs ? Linkedin devrait se trouver entre Twitter et Google+, pas en bas de page. Par genre ? Google+ et Tumblr, qui n’ont rien à voir, sont côte à côte. Quant aux autres chiffres, ils ne sont pas comparables entre eux : 870 millions d’utilisateurs de Facebook (à mon avis il s’agit plutôt du nombre de comptes existants, ce qui n’est pas du tout la même chose lorsque l’on parle de près d’un milliard de profils), 15 millions de titres disponibles sur Spotify, 500% de tweets postés depuis le Japon dans l’heure qui a suivi le séisme…
(Note : je pourrais continuer très longtemps sur ce sujet, mais je préfère raccourcir.)

Pire : l’illustrateur a ajouté un tas d’éléments visuels qui viennent perturber encore plus la lecture. Que font tous ces oiseaux-logos-de-Twitter partout ? Que font tous ces pictos en plein milieu de l’image ? Et pourquoi mettre un # devant « amywhinehouse », alors que le texte associé ne fait pas référence à Twitter mais à Facebook ?

Quant aux sources, une phrase absolument illisible indique… qu’il faudra se débrouiller pour aller les chercher. L’image était destinée à l’édition papier du journal : peut-être que des liens étaient fournis à côté ?

Alors : une infographie, vraiment ? Si je reprends la définition de Wikipedia, ça ne colle pas : il n’y a pas de diagramme sur cette image. Mais au delà de cette définition, le plus gros problème de cette image, c’est qu’elle informe (vraiment) moins bien qu’une simple liste à puces. En d’autres termes, elle n’est pas seulement illisible, elle est aussi superflue !

Je suis très ennuyé de parler de cette manière d’un travail qui a dû demander beaucoup de temps, mais je n’arrive pas à comprendre comment on peut produire une image de ce type. Cela dit je me trompe peut-être : si la demande initiale était « flanquez-moi toute une série de chiffres relatifs aux réseaux sociaux sur une illustration », ça colle. En revanche, si la demande ressemblait à « aidez les lecteurs à mieux cerner la diversité et l’utilisation des réseaux sociaux », il y avait sans doute beaucoup mieux à faire.

Bonus

En retournant sur le site d’ecrans.fr à l’instant, je tombe sur cet article (en page d’accueil) : « le journalisme les doigts dans les données ». On y lit des choses très intéressantes, comme cette phrase : « Pour le moment, faute de moyens et de réelle volonté, ces travaux qui se revendiquent du journalisme de données restent souvent coincés quelque part entre l’infographie et l’animation de chiffres, n’atteignant que rarement le travail de fond désormais courant dans la presse anglo-saxonne. »

Publier cette phrase quatre jours après avoir publié (relayé) l’infographie ci-dessus ? C’est un choix intéressant.